La question revient souvent, et les médias s’en emparent épisodiquement: et si on imposait une visite médicale pour les conducteurs âgés, dans le cadre du permis de conduire ?
Ce serpent de mer soulève plusieurs questions.
Vieillissement et aptitude ?
Y a-t-il un âge où l’on ne peut plus conduire ? La plupart des personnes à qui vous poserez la question répondront « oui ». C’est sur l’âge en question qu’il y aura des désaccords. Il est intéressant de relever que, pour la majorité du public, il y a confusion entre la vieillissement et les pathologies dégénératives. En effet, l’âge n’est pas un problème pour la conduite (à part pour les jeunes). Les diminutions de capacités sont généralement compensées par une adaptation des comportements: conduire moins longtemps, moins de nuit, moins vite, prendre plus de temps pour mieux regarder son environnement… Potentiellement, les seniors à risque seraient ceux qui continueraient à conduire comme lorsqu’ils avaient 30 ans.
Si l’on évoque les pathologies dégénératives (Alzheimer, Parkinson…), ce n’est plus une question d’âge, mais de maladie. Auquel cas il ne faudrait pas attendre la soixantaine pour les dépister et traiter ou écarter les conducteurs atteints.
Les médecins des préfectures connaissent de nombreux cas d’automobilistes de plus de 100 ans, souvent contraints par leur famille à passer des tests, parfaitement capables d’accomplir toutes les tâches requises pour conduire.
Vieillissement et compétences ?
« Oui, mais les vieux ont moins de réflexes. » dit la croyance populaire. Pour mémoire, les réflexes sont innés, involontaires, incontrôlables et ne sont pas gérés par le cerveau. En conduite automobile, on se sert d’automatismes acquis, volontaires et qui entrent dans une réaction adaptative. Pour conduire, ce sont les compétences qui comptent et ce n’est pas l’âge qui les dégrade le plus. Avant cela, il y a l’alcool, la fatigue, le cannabis, le téléphone, le stress, les médicaments… Et tout cela n’est pas réservé aux « vieux ».
Si l’on évoque les compétences, il faut relever que l’âge le plus problématique se situe entre 16 et 23 ans. Ce qui rend un conducteur efficace, c’est sa faculté d’analyse. L’anticipation et la subtilité d’interprétation ne viennent qu’avec l’expérience. En clair, s’il fallait sélectionner ceux qui ont le droit d’accéder à la route en fonction de l’âge, et si l’on s’en tient aux statistiques d’accidentalité, il faudrait éliminer les moins de 25 ans ! Justement, si l’on parlait un peu statistiques…
Que disent les chiffres ?
Comme souvent, on trouve dans les médias des données qui, pour ne pas être fausses, sont (volontairement ?) incomplètes. Démonstration:
Si l’on ne tenait pas compte du statut (conducteur/passager/piéton) des personnes tuées, on pourrait croire que les 80 ans et plus sont de plus en plus dangereux au volant… Sauf qu’en fait, passé 65 ans, il y a un ratio élevé de piétons dans les tués.
Une cible facile
Les seniors sont une cible facile pour le public qui cherche souvent un bouc émissaire. Mais il est vrai que la tradition gauloise nous fait voir dans l’autre le danger. L’autre n’est pas moi, si je suis en voiture il est piéton, si je suis motard il est automobiliste, si je suis jeune il est vieux, si je suis un homme il est une femme… Par conséquent, s’il ne me ressemble pas, je n’ai pas à me remettre en question et à réfléchir à mon usage de la route, puisque ce n’est pas moi le danger.
Le cynisme économique incite également à se séparer de ce qui ne lui est plus utile. Si les anciens ne contribuent plus à la production, ils n’ont plus besoin de conduire.
Électoralement, il est également plus facile et moins coûteux de s’attaquer à cette tranche d’âge qu’aux catégories précédentes qui forment la population active. En fait, si l’on commençait à chercher les incapacités partielles, temporaires ou totales à la conduite, il y aurait des dizaines de milliers de personnes concernées dans les actifs.
Et les directives européennes ?
Une possibilité à envisager: et si l’actuel frémissement médiatique nous préparait à une modification de positionnement de la France par rapport à l’Europe ? Explications…
La directive européenne de 2006, qui instaure un permis de conduire limité dans le temps, demande aux états membres de limiter à 10 ans (avec possible extension à 15) la validité du document. Pour proroger sa validité, les états peuvent instaurer des tests d’aptitude et ajouter, s’il le souhaitent, une remise à niveau des connaissances réglementaires mais non contraignante.
Or, depuis le début (le début de la retranscription en droit français date de 2009), les autorités françaises ont indiqué leur volonté de ne pas faire passer de visite médicale. La procédure de renouvellement serait une simple remise à plat du dossier administratif. Et le délai a été fixé à 15 ans. Le courage politique n’est plus d’actualité depuis quelques années…
Une sélection des conducteurs par l’âge serait une mesure discriminatoire au regard du droit européen, s’il y a des tests d’aptitude, il faudra qu’ils soient universels. Alors peut-être que la polémique actuelle permettrait à la France de subtilement imposer ces tests pour tous les conducteurs dans un proche avenir.
Encore un dossier à suivre.