Les réflexes du conducteur, ça n’existe pas !
Avez-vous déjà entendu une phrase du type : « Heureusement que j’ai eu un bon réflexe ! Ça m’a évité l’accident. » ? En ce qui me concerne, elle me hérisse. Ce n’est pas seulement la confusion des mots qui me dérange, c’est aussi toute la réflexion faussée qui peut en découler.
Nous n’utilisons pas de réflexes en conduite automobile : nous avons des réactions, qui se composent d’automatismes, mais pas de réflexes.
Réflexe est devenu un mot fourre-tout qui, employé de façon excessive dans des contextes les plus variés, se retrouve vidé de son sens. Le marketing ne nous épargne pas les « réflexe minceur » ou « réflexe santé » qui galvaudent le terme.
Lacune scientifique
La première explication au mésusage du mot, vient sans doute de lacunes dans le domaine des sciences, notamment la biologie.
Le Larousse indique que le réflexe est une « réponse motrice inconsciente ou involontaire provoquée par une stimulation sensitive ou sensorielle » ou encore une « réaction très rapide, anticipant toute réflexion, en présence d’un événement. » La rapidité et l’absence de volonté ou de conscience s’expliquent par l’évitement du cerveau dans le processus : seule la moelle épinière est sollicitée.
Pas de mémoire, pas d’apprentissage, les réflexes sont innés. Ils figurent dans notre patrimoine génétique d’Homo Sapiens. Ils sont particulièrement adaptés à l’environnement et au contexte de vie de l’Homme des Cavernes. Mais l’Homme des Cavernes n’était pas conçu pour conduire…
Le réflexe : réaction adaptée ?
Vous avez sans doute déjà vu l’occupant d’une voiture rentrer la tête dans les épaules au moment de franchir un portique, ou un conducteur cligner des paupières en recevant des éclaboussures sur le pare-brise… C’est tout à fait normal ! C’est même bon signe. Un Homo Sapiens qui reçoit des jets d’objets sur le visage ou qui passe sous un arbre en suivant une proie à tout intérêt à fermer les yeux ou baisser la tête.
La Nature nous a dotés de réflexes cohérents avec ce que nous étions il y a des millénaires, un bipède qui marche et court. Mais depuis, nous avons changé la donne, inventé des techniques, des activités, qui nécessitent autre chose.
Si vous savez skier, vous avez sans doute remarqué un réflexe amusant chez les débutants : ayant peur de prendre de la vitesse, ils se mettent en arrière. Ce qui donne l’inverse de l’effet escompté.
Le ski, comme la conduite automobile, n’était pas prévu dans le plan de Dame Nature. Nos réflexes sont donc inadaptés.
Le propre d’une réaction adaptée à la conduite, c’est un assemblage de gestes acquis, réfléchis, conséquence d’une analyse d’une situation donnée ou réponse conditionnée à une situation standard : un automatisme.
Les automatismes dépendent donc de l’apprentissage, des habitudes, et même des choix que l’on fait à un certain moment et que l’on valide pour longtemps. Si vous avez troqué la boîte manuelle pour la boîte automatique, ou si vous êtes passé à l’éco-conduite, vous savez de quoi je parle. Il vous a fallu un temps d’adaptation, de réapprentissage. Un réflexe ne se réapprend pas.
Subjectivité
L’inconvénient de l’automatisme par rapport au réflexe, c’est qu’il est plus long.
En fait, c’est plutôt le choix de l’automatisme à adopter qui prend le plus de temps. Alors qu’il faut moins d’un dixième de seconde pour cligner des yeux, envoyer son pied sur le frein ou actionner le volant en voyant un danger peut prendre de ¾ s. à 1,5 s. à un conducteur en bonne santé et en pleine forme. Nous verrons ce sujet dans un futur article tant il y a à dire sur le sujet.
De plus, lorsqu’on est en action (au volant en l’occurrence), on n’a pas la conscience du temps qu’il nous a fallu pour réagir à une situation donnée. On ne ressent le processus qu’à partir du moment où la prise de décision est faite. Par conséquent, on a l’impression d’avoir agi instantanément. Ce qui est faux.
Parfois, c’est le passager qui s’en aperçoit et lâche un « T’en a mis du temps ! » S’il vous est déjà arrivé de répondre « Tu plaisantes ? J’ai réagi tout de suite ! », rassurez-vous, ce n’est pas de la mauvaise foi. Vous n’avez juste pas ressenti la totalité du processus qui se jouait dans votre système nerveux.
Où est le problème ?
C’est bien la question : « réflexe », « automatisme », « réaction »… est-ce si grave de confondre ?
Si la confusion mène à une surestimation de ses capacités de conducteur, à de la sur-confiance, oui.
Les formateurs qui effectuent des audits de conduite le constatent fréquemment : trop de conducteurs roulent trop près des autres véhicules, ou trop vite dans des circonstances où un danger pourrait survenir, par excès de confiance dans leur capacité à réagir rapidement et freiner court.
Certains exercices de freinage permettent de retrouver le principe de réalité. L’étonnement, et parfois de désarroi, des stagiaires y est courant, et leur permet de réajuster, s’ils le veulent, leur pratique de conduite. Pour d’autres, hélas, c’est une collision qui les met au pied du mur.
C’est pour éviter ce mur que nous sensibilisons les usagers.