Faut-il admirer ou s’en désoler ? La stratégie mise en oeuvre par certains lobbies et personnalités peu favorables à la sécurité routière pour décrédibiliser une des mesures annoncées par le gouvernement est particulièrement futée ! L’idée est brillante: citer quelques données chiffrées, prises hors contexte, d’une étude danoise difficile à trouver et compter sur le manque de curiosité des lecteurs pour ne pas aller la lire.
L’étude que personne ne lit
Selon ces partisans de la vitesse, le passage de la limitation de 80 à 90 km/h sur les routes danoises aurait permis une baisse de 13% de la mortalité. Outre le fait de combler les fantasmes de beaucoup de pilotes du dimanche, cette information est fausse pour plusieurs raisons que voici:
- La mesure n’a été appliquée que sur une centaine de kilomètres du réseau secondaire qui en représente 2600.
- La vitesse maximale qui y était pratiquée par 85% des véhicules était déjà de 87,7 km/h et elle n’a augmenté que de 0,2 km/h après le changement, ce que les autorités ont jugé non-significatif.
- Le score est passé de 18 accidents et 13 blessés à 15 accidents et 11 blessés, ce qui fait bien -13%. Mais il n’y est pas question de tués.
- Si l’on considère les réseaux adjacents à la zone d’étude sur 3 km (en amont et en aval que l’on appelle « zone d’influence »), l’accidentalité a augmenté.
- La centaine de kilomètres a fait l’objet d’importants travaux d’aménagements pour sécuriser l’augmentation des vitesses.
- Le reste du réseau qui est resté à 80 km/h, et qui n’a pas subi de travaux particuliers, a connu une baisse du nombre d’accidents de 4174 à 2881(soit -31%) et de tués de 255 à 178 (-30%). Cette information provient de la base de données de l’Union Européenne.
Pour vous faire votre propre opinion, nous vous conseillons la lecture de l’étude en question. Si votre danois est hésitant, vous avez une synthèse en anglais à partir de la page 7…
De l’influence de la vitesse sur la mortalité
Il n’est pas très difficile de raisonner sur la baisse d’accidentalité et/ou de mortalité générée par une baisse de la vitesse pratiquée. En plus des données empiriques des pays de l’OCDE, il y a aussi les éléments de physique liés à l’énergie cinétique. Mais pour des raisons complexes (liées à la multifactorialité des accidents et à l’exponentialité de l’énergie cinétique), les gains ne sont pas réguliers.
Prenons l’exemple des autoroutes en France. Le taux de gravité (nombre de tués pour 100 accidents corporels) pour les réseaux limités à 130, 110 et 90 est, respectivement, de 12/100, 2,4/100 et 2,2/100, formant ainsi ce que certains appelleraient une courbe de Gauss. Cela signifie que le gain en vies sauvées est important de 130 à 110 mais faible de 110 à 90. Selon les recommandations internationales, les routes secondaires sans séparateur central devraient être limitées à 70 km/h. Il semblerait que sous ce seuil les gains soient minimes voire nuls.
La limitation à 80 sauvera-t-elle des vies ?
Il y a là un point qui mérite d’être dit, en-dehors de tout discours officiel ou partisan.
Ce n’est pas la baisse de limitation de vitesse qui sauvera des vies, c’est la baisse de la vitesse pratiquée.
Sur les routes secondaires où la circulation se fait déjà à une V85 (vitesse pratiquée par 85% des véhicules) proche de 80 km/h, la nouvelle limite ne changera rien.
Sur les routes où la limitation à 90 n’est déjà pas ou peu respectée, si la nouvelle limitation fait l’effet d’un robinet d’eau tiède, il n’y a pas non plus de progrès à attendre. Comment l’Etat fera-t-il pour faire respecter la loi sur des centaines de milliers de kilomètres, sachant qu’il n’a pas réussi à y faire appliquer la limite à 90 jusqu’à présent ?