Quand l’élite ignore l’expertise et joue la démagogie
Le sénateur Alain Fouché, à qui on devait déjà l’affaiblissement du permis à points en 2010 (Loppsi 2), revient sur les excès de vitesse de moins de 10 km/h. Ses affirmations dans la presse montrent à quel point il est ignorant des réalités accidentologiques ou des phénomènes de physique liés à la vitesse. Voir les articles du Parisien et d’Europe 1.
Quand par exemple il dit « Il n’y a pas de boîte noire sur les voitures. Je ne vois pas comment ils peuvent savoir si la voiture roule à 35 km/h au lieu de 30 km/h« , on voit qu’il n’a jamais cherché à savoir comment travaillent les accidentologues et experts légistes. En termes de ressenti de vitesse, 5 km/h c’est peu, mais en termes d’énergie cinétique, l’écart est très facile à constater. Encore faut-il vouloir connaître ces choses-là…
De plus, il emploie la dialectique des infractionnistes routiers qui repose sur bon nombre d’affirmations fausses, mais assénées avec suffisamment d’assurance pour donner l’impression d’une vérité. Si M. Fouché conduit parfois lui-même, il fait peut-être partie des 10% de détenteurs de permis de conduire qui ont moins de 10 points, auquel cas on peut comprendre cette proximité de pensée.
Par exemple, il trouve scandaleux d’être sanctionné pour un excès d’1 km/h. Or, en France, cette sanction n’existe pas. Il y a une marge dite « technique » (mais en fait de tolérabilité sociale) de 5 km/h jusqu’à 100 puis de 5% au-dessus de 100 km/h. A laquelle il faudrait rajouter la marge des compteurs, qui est de 3 km/h minimum. Ceux qui utilisent des GPS savent cela… En réalité donc, être verbalisé à 91 pour une vitesse maximale de 90 signifie avoir atteint 96 km/h réels, et 99 ou 100 au compteur.
Sachant que la plupart des usagers ne comprennent pas une interdiction qui n’est pas assortie d’une sanction, supprimer la verbalisation équivaut à un relèvement de la vitesse maximale: on pourrait donc rouler à 60 en agglomération (retour aux années 80…), 100 sur le réseau secondaire et 140 sur autoroute.
Le maintien du retrait d’un point serait une bonne idée alors…
Pourquoi cette loi ne passera pas
Mais en fait, il y a fort peu de chances que cette loi voie le jour. En effet, elle est contraire aux lois internationales en termes de droit routier. Le retrait de points n’est pas une mesure pénale mais administrative, qui ne peut intervenir qu’après une contravention ou un délit, pour lesquels le justiciable dispose d’un droit de recours. Il faudrait une réforme du droit français et européen pour que le retrait de points devienne une sanction pénale, ce qui irait à l’encontre des décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et de l’article 6 de sa Convention. Pour les amateurs, je vous suggère de relire l’affaire Malige du 23/09/1998. En bref, un retrait de points sans amende n’est pas possible.
Et pourtant…
Sur le fond, l’idée n’est pourtant pas dépourvue d’intérêt. Les amendes (surtout celles à 45 €, pour les excès de 1 à 19 km/h aux endroits limités à plus de 50 km/h) sont peu dissuasives, surtout pour les conducteurs aisés, au volant de grosses berlines (chères), et pour qui l’éco-conduite est une pratique inenvisageable réservée à des demeurés radins ou écolos convaincus.
Le retrait de points introduit plus d’égalité (pour peu que les conducteurs soient identifiés) en limitant les « droits à l’erreur » de la même manière pour chacun. Et c’est vrai que les arguments de type « pompe à fric » seraient affaiblis (il est néanmoins possible qu’on sous-estime ici la mauvaise foi des infractionnistes, capables de trouver autre chose…).
Un élément qui cependant doit faire réfléchir et rechercher le « hic » de ce projet de loi, c’est qu’il est soutenu par 40 millions d’automobilistes. Ce qui suggère une méfiance de principe.
Si la loi passait (on pourrait imaginer l’idée d’une amende à 1€ symbolique pour contourner le problème légal), il faudrait cependant à l’Etat un effort important pour traquer les fausses déclarations prétendant ne pas connaître les conducteurs au volant des véhicules, surtout pour les entreprises. Sinon, nous pourrions voir encore augmenter la mortalité des usagers de véhicules professionnels, qui avait déjà quadruplé entre 2002 et 2012.
Dossier à suivre…